
Les agences media de l’UDECAM prennent la plume et signent une série de tribunes avec Open Garden. Baptisée “Udecametrics”, elle permettra aux membres de la commission “Metrics & Analytics” de l’Udecam de partager leurs analyses et prises de position sur des sujets majeurs de notre industrie. Les experts en Etudes et Recherches des agences media affirment leur rôle d’éclaireurs sur des sujets de décisions stratégiques pour les annonceurs. Nous commençons cette série par l’éternel débat “brand vs performance”.
Dans les périodes de forte incertitude économique et de croissance modérée, les comités de direction des grands annonceurs sont souvent amenés à arbitrer leurs dépenses, notamment en matière d’investissements marketing.
Il est fréquent que le budget publicitaire de marque – c’est-à-dire les investissements dédiés à la construction de l’image et de la notoriété sur le long terme – soit le premier à être remis en question.
À court terme, il peut en effet sembler plus aisé de réduire ces dépenses plutôt que de toucher aux actions promotionnelles immédiates, qui visent à stimuler les ventes directes. Cependant, une réduction drastique du soutien à la marque peut compromettre la croissance future de l’entreprise.
Une analyse récente du Boston Consulting Group (BCG) met en lumière cette réalité : regagner une part de marché perdue suite à une diminution des efforts de communication nécessite un investissement ultérieur de 1,85 € pour chaque euro initialement “économisé”, soit un surcoût de 85 % lié à la reconquête des clients.
Par ailleurs, les entreprises ayant réduit leurs dépenses de brand marketing ont enregistré un rendement total pour les actionnaires qui est inférieur de 6 points sur la période suivante, comparativement à celles qui les ont maintenues ou augmentées. Il apparaît donc que ce qui peut être perçu comme une économie prudente à l’instant T risque de se traduire par un manque à gagner significatif à plus long terme.
Investir dans la marque constitue un investissement stratégique pour l’avenir
De nombreuses études confirment le lien étroit entre une marque forte et la performance commerciale. À titre d’exemple, une analyse menée par Kantar Worldpanel et Havas Media sur 52 marques sur une période de huit ans révèle que près de 9 marques sur 10 ayant fortement réduit leur communication ont vu leur considération diminuer auprès des consommateurs. De plus, près de 3 sur 4 ont subi un recul de leur chiffre d’affaires, et 2 sur 3 ont constaté une diminution de leur base de clients.
Les marques qui réduisent leur visibilité en subissent les conséquences par une érosion de leur capital client. Inversement, les périodes de crise peuvent offrir une opportunité : maintenir sa “part de voix” lorsque d’autres réduisent leurs investissements permet souvent de gagner des parts de marché durables.
L’étude McGraw Hill illustre ce point : les entreprises qui ont maintenu leurs dépenses budgétaires durant les périodes de récession et poursuivi leurs investissements à un rythme habituel par la suite ont enregistré une hausse moyenne des ventes de 67 % supérieure à celles qui ont cessé d’investir durant cette période.
Un autre élément souligne l’opportunité de conquérir des parts de marché à un coût potentiellement moindre en période difficile. En effet, investir davantage en période de ralentissement économique facilite l’accroissement de sa part de marché : une étude PIMS de l’université de Cambridge indique une augmentation moyenne de +1,5 % contre seulement +0,2 % en période de croissance.
Il est également important de noter que retrouver une dynamique de retour sur investissement après une coupure budgétaire est un processus long et coûteux. Selon les modèles de Marketing Mix Modeling (MMM) de Data 2 Decision, il faut compter environ 5 ans et 60 % de dépenses supplémentaires par rapport au montant “économisé” durant l’année de crise pour reconstruire son niveau de ventes initial.
Mesurer l’efficacité de la marque : des outils pour objectiver le débat
Pour convaincre un comité exécutif de la pertinence d’investir sur les marques, il est essentiel de s’appuyer sur des indicateurs concrets. Plusieurs méthodologies de mesure permettent aujourd’hui d’évaluer le retour sur investissement du soutien à la marque :
Le brand tracking : un baromètre continu. Ce dispositif permet un suivi régulier, via des sondages, de la notoriété, de l’image et de la considération de la marque. Il met en évidence l’évolution de ces indicateurs clés de performance (KPI) en fonction des campagnes publicitaires. Par exemple, une augmentation de l’intention d’achat ou de la notoriété spontanée après une campagne fournit une preuve tangible du renforcement du capital de marque.
Les études post-test : l’évaluation de l’impact immédiat. Menées juste après une campagne, ces enquêtes mesurent la mémorisation publicitaire, la compréhension du message et l’évolution de la perception de la marque auprès des personnes exposées, en comparaison avec celles non exposées. Elles permettent de quantifier l’impact direct d’une campagne sur l’opinion du public (par exemple, un gain de 15 points de reconnaissance de la marque au sein de la cible touchée).
Le marketing mix modeling (MMM) : l’analyse de la contribution aux ventes. Ces modèles économétriques évaluent la contribution de chaque levier marketing (publicité TV, digital, promotions, etc.) sur les ventes incrémentales. Le MMM permet de distinguer l’effet à court terme d’une campagne de son effet à long terme sur la base de clients. Il permet de relier les efforts consentis sur la marque aux résultats commerciaux de l’entreprise et de mesurer la rentabilité financière de ces efforts.
Les modèles imbriqués : la corrélation entre marque et performance commerciale. Ces analyses statistiques plus avancées établissent un lien entre l’impact des médias sur les indicateurs de marque et la corrélation de ces indicateurs avec la performance commerciale. Elles offrent une démonstration en deux étapes : la publicité améliore la notoriété ou l’attitude, qui à son tour génère des ventes additionnelles sur la durée. Ces méthodes complexes confirment de manière scientifique l’intuition qu’une marque forte est un moteur de croissance.
En combinant ces différentes approches (suivi de marque continu, post-tests, modélisation des ventes), un directeur marketing peut constituer un dossier argumenté et chiffré. L’objectif n’est plus simplement d’affirmer l’importance de la marque, mais de démontrer précisément comment et dans quelle proportion elle génère de la valeur pour l’entreprise.
Décloisonner marque et performance : un enjeu organisationnel
Il est fréquent que le marketing de marque et le marketing “performance” soient gérés par des équipes distinctes, avec des indicateurs propres. Cette organisation en silos peut nuire à une vision cohérente : le risque est que le discours de marque évolue en parallèle des objectifs commerciaux, sans synergie réelle.
Aligner la gouvernance est donc un impératif. Cela implique la mise en place d’objectifs partagés entre les départements (inclure des KPI de marque dans les tableaux de bord business, et vice-versa), ainsi qu’une collaboration étroite entre le CMO et le CFO autour d’analyses communes.
L’agence média peut ici servir de trait d’union, en fournissant une lecture unifiée des résultats. En faisant dialoguer les données de brand equity et les données de vente, elle aide l’entreprise à adopter un langage commun de la performance. Cela permet d’éviter que la marque ne soit perçue comme un centre de coût isolé, en l’intégrant pleinement dans la création de valeur mesurable pour l’entreprise.
Le rôle de l’agence média : partenaire et garant de la performance globale
Dans cette démarche, l’agence média joue un rôle essentiel de conseil. D’une part, elle apporte son expertise multi-sectorielle pour aider à défendre le budget : elle fournit des benchmarks externes, des données sectorielles, et des exemples de succès ou d’échecs d’autres entreprises, éclairant ainsi les décisions du comité de direction.
Elle peut également accompagner le CMO dans la pédagogie auprès des financiers, en traduisant les résultats de mesure en indicateurs compréhensibles pour un directeur général ou un CFO. D’autre part, l’agence contribue à la mise en place des outils de mesure évoqués précédemment : elle dispose souvent des ressources nécessaires pour lancer un brand tracker sur mesure, réaliser des post-tests, ou un marketing mix modeling grâce à ses analystes. En assurant ce suivi rigoureux, l’agence aide à piloter l’efficacité du budget de marque tout au long de l’année et à ajuster les plans d’action en conséquence.
En conclusion, défendre le budget de marque ne relève pas d’un simple acte de foi, mais d’un choix stratégique éclairé. Les preuves empiriques et les outils analytiques disponibles convergent : une marque forte est un facteur déterminant de la croissance future.
S’il est nécessaire de gérer prudemment les dépenses à court terme, cela ne doit pas se faire au détriment du lien émotionnel avec le client et de l’avantage compétitif qu’offre une marque bien entretenue. Il incombe aux dirigeants d’adopter une perspective d’investisseurs à long terme : en période de doute, soutenir sa marque, c’est faire le pari de la résilience et de la croissance future.
Les entreprises qui ont su maintenir ce cap ont souvent récolté des bénéfices significatifs une fois les périodes difficiles passées. Il est donc essentiel de ne pas laisser une vision à court terme fragiliser ce qui constitue la force durable d’une entreprise : la préférence pérenne de ses clients.